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Chaque personne possède la capacité de faire un nombre précis de tâches simultanées; voilà une vérité que beaucoup de gens connaissent, mais qui est peu tenue en compte dans le développement des joueurs. Dans la vie de tous les jours, nous sommes rarement placés dans des situations où les limites de notre capacité d’attention, de perception, de prise de décision et d’action sont évidentes, et encore moins où on essaie de les dépasser.

Des exemples sont pourtant très près de notre quotidien. L’utilisation du téléphone cellulaire est une action qui est très simple pour la majorité d’entre nous. Mais combinée à la conduite d’une voiture (une série de tâches complexes habituellement bien maîtrisées), les conséquences peuvent être fatales. Nous n’avons aussi qu’à penser à l’effet d’échanger des textos en conduisant et de quelle façon l’attention est réduite et le temps de réaction est accru.

La charge de travail en aviation : une comparaison

J’ai été moi-même devant l’évidence de mes limites lorsque j’ai passé ma licence de pilote privé. Les premiers vols que j’ai effectué après plusieurs cours théoriques étaient des plus intéressants. Assis en classe ou aux commandes d’une boîte de conserve volante n’était pas la même chose. Deux plus deux tout à coup faisait huit au lieu de quatre! J’étais clairement au-dessus de ma capacité.

Deux plus deux tout à coup faisait huit au lieu de quatre!

Moteur-hauteur, manche-vitesse, cap, ‘est-ce que j’ai bien le bon cap’, ‘est-ce que j’ai bien remonté mes flaps?’, « Tango Papa Juliette en base »… en base, quoi? « Tour de Québec à Tango Papa Juliette, sortez en Charlie aussitôt atterri parce qu’un Régionair vous suit et contactez le sol. » Un quoi me suit de où? Puis faut que je contacte qui? C’est quoi donc la fréquence?? Pis faut encore que je l’atterrisse cet oiseau-là!

Le travail de Pascal Fournier, mon instructeur qui est devenu un très bon ami, était donc, d’un vol à l’autre (à part me garder en vie), de me laisser maîtriser toute l’information qui me permettrait de voler sécuritairement et d’en profiter de plus en plus. Pour voler, toutes mes connaissances, mes sens, mes décisions et mes actions doivent être intégrées et synchronisées. Pendant mes vols, Pascal a donc géré une partie des tâches pendant que j’apprenais à en maîtriser d’autres, et m’en a graduellement cédé jusqu’au moment où j’en maîtrisait assez pour partir en solo. (Il a tenu mon vélo pendant que j’apprenais à rouler sans aide… voir mon article Enseignez-vous le hockey comme on montre à faire du vélo à deux roues?).

Qu’est-ce que ça représente pour les joueurs de hockey?

Pensons d’abord aux actions que le cerveau doit gérer lorsqu’on joue

  1. Respirer (et oui, le cerveau s’occupe de ça…)
  2. Se tenir en équilibre
  3. Patiner
  4. Prendre l’information
  5. Contrôler la rondelle
  6. Modifier sa trajectoire
  7. Analyser la situation selon l’information et le système de jeu
  8. Ajuster son analyse selon la stratégie du moment
  9. Ajuster ses actions selon le moment de la partie
  10. Gérer son stress et sa fatigue est aussi un processus qui s’additionne au reste.

 

Mais qu’arrive-t-il si l’on ajoute une tâche additionnelle alors que notre limite est déjà atteinte?

Notre cerveau doit laisser tomber une des tâches qu’il était déjà en train de gérer… Habituellement, la dernière chose apprise est la première à partir, puisque la nouveauté n’est pas entièrement intégrée. Je dis habituellement, parce qu’en certaines occasions, il se peut qu’une habileté jusque là bien maîtrisée soit mise de côté au profit d’une tâche nouvelle (par exemple, oublier de respirer normalement lorsqu’une série de tâches complexes est demandée).

Il est du devoir de l’entraîneur de savoir observer le joueur, en gardant en tête que l’évaluation de son habileté ne doit pas être faite sur sa capacité à faire la nouvelle tâche, mais bien sur la façon dont cette nouvelle tâche affecte celles qui semblaient acquises.

C’est aussi pour cette raison que la progression des exercices est essentielle. Lorsque je passe une rondelle au joueur (nouvelle tâche), est-ce que sa technique de patin change? Est-ce que sa prise d’information est toujours efficace? Oublie-t-il de porter son poids vers l’avant dès qu’il doit relever la tête?  Et ainsi de suite… La rondelle sert, dans ce cas-ci, à provoquer la surcharge nécessaire pour déstabiliser l’équilibre tâche-gestion.

L’évaluation de l’habileté d’un joueur ne doit pas être faite sur sa capacité à faire une nouvelle tâche, mais bien sur la façon dont cette nouvelle tâche affecte celles qui semblaient acquises.

Grâce à la progression d’exercice, on peut voir exactement où et quand il y en a trop, nous donnant ainsi la marche à suivre pour avoir un progrès optimal. Puisque l’on ne peut changer le nombre maximal de tâches réalisables, l’amélioration passe inévitablement par le travail dans la « zone payante »… Juste un peu plus que ce que le joueur est capable habituellement, mais pas trop pour qu’il perde confiance ou intérêt. Sortir le joueur de sa zone de confort, tout en observant si quelque chose est en train de lâcher. Lorsque c’est le cas, on sait qu’on doit travailler à ce niveau un peu plus avant de continuer la progression.

Un autre avantage à travailler de cette façon est de pouvoir constater que la chose à travailler n’a parfois rien à voir avec les habiletés techniques du joueur pour le hockey. Par exemple, ce qui empêche le joueur d’avancer est peut-être la peur de se ridiculiser, de ne pas réussir du premier coup, de ne pas être à la hauteur des attentes… C’est dans l’addition des réussites momentanées que la confiance en soi s’installe, et que la tâche de gestion du stress peut alors être mise de côté au profit d’un apprentissage nouveau.

Une bonne compréhension de la gestion de la charge de travail est bénéfique autant pour le travail technique individuel que pour la mise en place d’un système de jeu.

En étant conscient de la charge de travail possible de chacun, et en facilitant l’intégration de nouvelles tâches à l’aide de progression d’exercices, nous devenons des entraîneurs beaucoup plus aidant pour les joueurs.

Vos réactions m’intéressent! Laissez-moi vos suggestions, vos observation et vos commentaires!

 

Yannick Tremblay – Le Sens du Hockey

Article de référence sur la charge de travail dans le cockpit : http://www.skybrary.aero/index.php/Workload_(OGHFA_BN)